Notre chaykh, le faqih, le qadiy Abu Salim Ibrahim ibn Qasim al ‘Uqbaniy fut interrogé sur les savants de cette époque et son opinion sur eux. Leur est-il permis de juger ou de donner une fatwa selon un avis faible et de délaisser l’avis mashhur ainsi que l’action commune dans l’école de Malik, qu’Allah lui fasse miséricorde ?
Il répondit : Louange à Allah comme il lui convient. Que la prière et le salut soient sur notre maître Muhammad, son prophète et serviteur.
Ensuite ! O toi qui interroge, qu’Allah nous guide ainsi que toi à la réponse à ta question et bonifie dans ce monde et dans l’au-delà ce qui est détérioré de notre état ! Sache, qu’Allah te garde et te préserve, que le savant, Burhan ad din Ibrahim al Madaniy al Malikiy, plus connu sous le nom de Ibn Farhun a dit, dans ce qui est rapporté de lui, ce qui répondra à la question. Il a dit : « est-il obligatoire au juge (qadiy) qui est muqalid, s’il trouve l’avis mashhur, de ne pas en sortir ? Il a été rapporté de al Maziriy qu’il avait atteint le degré de l’ijtihad et il n’a jamais donné une fatwa hors du mashhur alors qu’il a vécu quatre vingt trois ans. Et certes, il suffit comme exemple sur cette question ! Si le qadiy ne trouve pas l’avis mashhur entre deux relations ou deux positions, il ne doit pas suivre et juger selon ce qui lui plaît entre les deux positions sans examen pour donner l’avis préféré ( tarjih) ».
Ce qui est apparent de sa parole est qu’il est obligatoire au qadiy qui est muqalid, s’il trouve l’avis mashhur, de ne pas statuer par autre chose, qu’il soit habilité à l’examen pour le tarjih en en ayant la capacité ou non. Cependant, la fin de sa parole : « Si le juge ne trouve pas l’avis mashhur entre deux relations ou deux positions, il ne doit pas suivre et juger selon ce qui lui plaît entre les deux positions… », indique que son propos porte sur celui qui est habilité à l’examen (pour le tarjih d’un avis). On comprend cette parole dans le sens où il trouve le mashhur qu’un autre savant que lui a déclaré mashhur. Dans ce cas, soit celui qui a rendu l’avis mashhur est le mujtahid qui a extrait la règle de lui-même et il n’y a pas de doute qu’il faille le suivre dans cet avis déclaré mashhur comme il le suit dans la position en elle-même. Quand par contre le fait de rendre mashhur l’avis du mujtahid ne provient pas du mujtahid lui-même mais d’un de ses compagnons qui le suivent et rendent mashhur certaines de ses paroles qu’ils ont retenues de lui par leur force probante, est-il obligatoire à celui qui vient après et qui est muqalid, de suivre l’avis de celui qui l’a précédé dans l’examen et la recherche dans les paroles de l’imam que tous deux suivent dans sa position ? Ou bien, cette personne, si elle a la capacité de faire le tarjih dans les paroles de celui qu’il suit, est-elle au même niveau que celui qui l’a précédée dans le fait de rendre mashhur une des positions de ce mujtahid ? Le suivi de ce précédent ne lui est pas obligatoire si on prend en compte le fait qu’il ait fait le même examen des textes que cette personne et qu’il est possible qu’il fasse le tarjih d’un avis autre que celui qu’a préféré le précédent et il ne sera pas permis de le suivre en cela. En effet, la capacité d’arriver à une position avec certitude interdit de faire l’ijtihad. De même, la capacité à l’ijtihad interdit de faire le taqlid. Cette personne est capable de faire l’ijtihad pour le tarjih d’un avis de son imam, il ne doit donc suivre personne si ce n’est son imam dans cela.
Parmi ce qui est appréciable dans cette question se trouve aussi ce qu’a rappelé al Qarafiy dans kitab al ihkam fi tamyiz al fatawa ‘anil ahkam wa tasrifat al qadiy wal imam : « question vingt-deuxième : est-il obligatoire au qadiy de ne juger que selon l’avis rajih selon lui comme il est obligatoire au mujtahid de ne donner fatwa que selon l’avis qui lui est préférable ? Ou bien il devra juger selon une des deux positions même si celle-ci n’est pas la position qui lui est préférable ? Sa réponse est que le qadiy, s’il est mujtahid, il ne lui sera permis de juger ou de donner fatwa que selon l’avis qui lui est préférable. S’il est muqalid, il lui est permis de donner fatwa selon le mashhur de son madhhab et de juger selon ce mashhur, même si cela n’est pas l’avis préférable pour lui. Il devra suivre dans la préférence la position appliquée par son imam qu’il suit dans la fatwa.
Quant au fait de suivre sa passion dans le jugement et la fatwa, cela est interdit par consensus. Certes, les savants ont divergé quand les preuves sont exposées au mujtahid et que les positions ont la même force probante et qu’il est incapable de faire le tarjih. Devra t-il délaisser les deux avis ou choisir l’un d’eux pour donner la fatwa? Les savants ont divergé en deux positions. Selon la position qu’il choisit un des deux avis pour donner fatwa, il devra choisir l’avis avec lequel il va juger sans pour autant que cet avis soit le plus probant pour lui car donner la fatwa est une prescription générale pour tous les gens responsables jusqu’à l’arrivée de l’heure. Le jugement dépend quant à lui d’événements particuliers. S’il est permis de choisir parmi les règles générales, cela est encore plus vrai pour les choses particulières. C’est ce qui est établi du fiqh ainsi que des fondements. C’est selon cette appréciation que l’on doit prendre le fait de juger selon le rajih et le fait de ne pas faire de tarjih n’est pas suivre la passion. Mais ceci ne tient lieu qu’après avoir fait l’effort d’ijtihad et s’être rendu compte de son impuissance à faire un tarjih devant l’égalité de la probation des deux avis. Quant au fait de juger selon une position à laquelle une autre a été préférée (marjuh), cela est contraire au consensus »
[…]
A cette même question, a répondu le faqih Abul ‘Abbas Sidi Ahmed ibn Zakariya : « Les textes des savants des fondements et des branches ont établi l’interdiction de donner fatwa ou de juger selon une position marjuh, aussi bien pour le muftiy que pour le qadiy. Il leur sera obligatoire de s’appuyer sur l’avis rajih. Si par contre le qadiy ou le muftiy fait partie des gens de l’ijtihad absolu ou limité, le fait de délaisser le rajih (pour lui) pour adopter l’avis marjuh (pour lui) est un suivi de la passion et est interdit à son endroit par consensus. Si par contre il fait partie des gens du taqlid comme c’est le cas pour l’immense majorité des gens de notre époque, il lui est obligatoire de suivre l’avis qu’ont préféré les gens du madhhab qui peuvent être suivis. Il ne lui est pas permis de délaisser cet avis pour prendre l’avis marjuh. Il s’égare en faisant son propre tarjih, il est obligatoire délaisser cet avis et d’agir selon ce que les savants ont préféré. Si on ne trouve aucun tarjih à ces avis après une recherche selon sa capacité ou, s’il trouve des textes qui sont d’égale force probante, le muftiy muqalid choisit ou opte pour un avis avec lequel il donnera la fatwa. Dans ce cas, il ne lui sera pas fait de reproche, sauf s’il ne s’est pas plongé longuement dans la recherche de l’avis rajih pour les imams. Il sera obligatoire au muqalid de suivre le tarjih sur un avis comme il lui est obligatoire de suivre l’avis tant qu’il n’est pas capable de faire le tarjih lui-même en examinant les preuves. A ce moment seulement, il lui sera permis de faire le tarjih d’un autre avis et de donner fatwa selon lui comme c’est le cas du mujtahid muqayyad. Son ijthihad constituera donc une position parmi les positions de l’école. Ceci est le résumé de ce qu’ont établi les imam du madhhab maliki et d’autres encore comme al Maziriy, al Qarafiy et ibn Salah. »
Miy’ar al Mu’rib ‘an fatawa ahlil Ifriqiyah wal Andalus wal Maghrib
Le paradoxe de notre époque est qu’elle est la plus pauvre au niveau scientifique mais qu’elle a vu se multiplier des va-nus-pieds appelant à l’Ijtihad. Cela aurait été moins dramatique, mais certes tout aussi ridicule, si ces gens avaient appelé à l’Ijtihad au sein d’une des écoles juridiques reconnues, en suivant les fondements d’un des imam sur lesquels les musulmans se sont mis d’accord. Mais ces gens à la formation scientifique légère, à la piété douteuse et aux desseins inavoués se réclament, ni plus ni moins, comme des gens de l’Ijtihad absolu qui donc font leur propre effort scientifique par le biais de leurs propres fondements. Pour celui qui en doutait encore, voici le signe ultime de la réalisation de la prédiction du plus véridique des véridiques, qu’Allah augmente la lumière de la terre qui enserre son corps, ‘alayhis salatu was salam :
« Viendront aux hommes des années trompeuses où l’on croira le menteur et démentira le véridique. On fera confiance au traître et on se défiera du digne de confiance. Surtout, les Ruwaybidah auront voix au chapitre ». On demanda : « Que sont les Ruwaybidah? ». Il dit : « ce sont des hommes insignifiants qui parleront des affaires publiques » [1].
Le schème du mot ruwaybidah est dénommé tasghir en morphologie, à savoir le diminutif. Cela indique déjà que les gens concernés n’ont aucune importance. L’étymologie du mot avilit encore plus les gens concernés. En effet, on peut retenir deux origines à ce mot. La première serait rabid, qui signifie troupeau en arabe. Les rabidah ne seraient donc que des bergers, des gens n’ayant aucune compétence et aucune culture. Le diminutif indique qu’en réalité, ils ne sont même pas capables d’être des bergers pour des animaux, que dire alors de guider des humains? La deuxième origine est du verbe rabada, qui signifie le recroquevillement, le fait de ne pouvoir se lever et d’atteindre quelque chose d’élevé. Les ruwaybidah, en plus de leur incapacité à saisir les sens profonds de l’Islam, sont vils vu l’indication du diminutif. Tout ceci montre les petites capacités des gens de notre époque qui appellent à l’ijtihad. Loin d’être des savants chevronnés, ils sont au contraire des opportunistes à la science bancale n’ayant aucune part à l’ijtihad. En effet, le sens de l’Ijtihad ainsi que ses conditions sont clairement établis chez les gens de science.
La légitimité de l’ijtihad est établie par le coran, la sunnah et l’unanimité des musulmans. De sorte, il n’est point besoin de faire référence aux sources sur cette question.
L’ijtihad est l’effort que fait le faqih pour arriver, par l’examen des preuves, à savoir ce qu’Allah a établi comme loi sur une chose donnée, que cette science soit présomptive ou certaine.
La dénomination de faqih implique donc que le mujtahid ne soit point un muqalid, quelqu’un qui doive suivre un autre dans les fondements ou les branches. De sorte, le titre de mujtahid ainsi donné sans autre précision fait référence au mujathid mutlaq. En effet, il existe différents niveaux d’ijtihad.
Le mujtahid mutlaq, absolu, est celui qui ne suit aucun autre imam et tire les règles de la shari’ah directement des textes. Il établit lui-même les principes directeurs par lesquels il parvient à faire son effort scientifique. Cela lui donne donc légitimité pour baser ses preuves directement du coran et de la sunnah. Sont dans cette catégorie certains parmi les compagnons comme sayyiduna Abu Bakr, ‘Umar, sayyiduna ‘Ali, Sayyida Aishah. En font partie aussi l’imam Malik, Abu Hanifah, Sufyan ath Thawriy, Ash Shafi’iy et ceux qui leur ressemblent.
Il existe dans cette catégorie des imam qui, même s’ils ont atteint le degré ainsi décrit, se sont limités au suivi des fondements d’un autre imam, du fait qu’ils partagent sa vision. Il s’agit de Abdu Rahman Ibn al Qasim, de Abu Yusuf Ya’qub ibn Ibrahim et Muhammad ibn Hassan ash Shaybaniy.
Le degré inférieur à celui-ci est celui de l’ijtihad muqayyad, limité, qui doit se conformer aux fondements d’un mujtahid mutlaq. Le mujtahid de ce degré inspecte les avis de son imam ainsi que les textes de son madhhab, sans pour autant tirer directement les règles des textes révélés. De même, il n’a pas compétence pour examiner les textes d’une autre école, contrairement à l’avis de al Lakhmiy. L’ijtihad muqayyad se divise en deux catégories.
La première est celle du mujtahid dans le madhhab. Il est celui qui examine les paroles de l’imam du madhhab pour en établir le sens ou apprécier la parole la plus forte si plusieurs lui sont attribuées. Si un cas nouveau se présente sur lequel l’imam s’est tu, il peut, à partir toujours des réponses de l’imam, établir une analogie avec un cas traité. Dans ce sens, il devra se tenir aux règles de dérivation probante de son imam ainsi qu’à ses conditions. Parmi les mujtahid dans le madhhab, figure l’imam Abul Walid ibn Rushd, al Lakhmiy pour les malikites, al Muzaniy ou le Qadiy Husayn pour les shafi’is ou encore at Tahawiy pour l’école de l’imam Nu’man ibn Thabit.
La seconde catégorie de mujtahid muqayyad est le mujtahid de fatwa ou de tarjih. Il s’agit de celui qui a la compétence de donner une préférence entre les avis émis par les mujtahid de rang supérieur sur une question. Bien sûr, sa compétence s’arrête aux mujtahid de son madhhab uniquement. Les représentants de cette catégorie sont par exemple Khalil ibn Ishaq, Ibn al Hajib pour les malikis, an Nawawiy, ar Rifa’iy pour les shafi’is, Ibn Muflih pour les hanabilah ou encore ibn ‘Abidin ash Shamiy pour les hanafis.
En deçà, il n’y a plus d’ijtihad à dire vrai. Les autres degrés qui suivent sont ceux des muqalid, des suiveurs, bien que tous les suiveurs n’ont pas le même degré de connaissance du madhhab suivi. Ainsi, le savant ayant retenu les avis du madhhab en entier n’est pas comparable à la personne du commun bien qu’ils soient tous deux des muqallid. Ainsi, celui qui connaît les détails d’une école sans pour autant atteindre le niveau de maîtrise dans ses fondements le faisant rejoindre les trois premiers degrés, reste un muqalid et n’est pas apte à l’ijtihad.
Le mujtahid est un musulman, homme ou femme, libre ou non, ayant atteint le taklif, pourvu d’une bonne compréhension et d’une bonne mémoire. La ‘adalah [2] est-elle une condition? Les savants ont divergé dessus et l’avis prépondérant est la non-obligation de la ‘adalah pour l’ijtihad.
En plus de ces conditions préliminaires, le mujtahid devra avoir la maîtrise d’une palette de sciences.
Il devra tout d’abord maîtriser les fondements de la langue arabe : le nahw (grammaire), le Sarf (morphologie), le mantiq (la logique, que ce soit celle de la langue arabe ou des sciences religieuses) ainsi que la balaghah (l’éloquence) avec ses composantes que sont les ma’aniy (l’expression) et le bayan( la formulation). Le mujtahid devra maîtriser ces sciences à la perfection.
Il devra aussi connaître les fondements du fiqh qui sont les moyens desquels on extrait les règles des sources textuelles. Cela nécessite donc la connaissance des moyens de dérivation des règles, la maîtrise du qiyas (analogie juridique) ainsi que des sources probantes.
Il lui est obligatoire de même de connaître les textes d’où on extrait les règles, à savoir le coran en premier. Selon l’avis le plus répandu, il n’est pas obligatoire pour le mujtahid de mémoriser le coran en entier et il lui suffira de connaître l’emplacement des versets juridiques [3] ainsi que leur contenu. Cependant, Ibn Juzay en a fait une obligation en disant:
“Certains parmi les savants des Usul ont dit: “ il n’est pas obligatoire de mémoriser le coran ni les versets juridiques. Il suffit de connaître leur emplacement pour s’y référer en cas de besoin”. Ceci est une erreur pour deux raisons.
La première est qu’il se peut que les règles soient extraites d’autre part que des versets connus (comme juridiques). Cela nécessite donc la mémorisation de tout le coran.
La deuxième est que celui qui n’a pas mémorisé le coran n’est pas digne d’être un imam dans la religion d’Allah. Comment alors que le messager d’Allah ‘alayhis salatu was salam a dit: "le livre d’Allah est la corde solide, le chemin droit. Dedans se trouvent les informations de ceux qui sont avant vous, les nouvelles de ceux qui vous suivent et les règles de ce qu’il y a entre les deux.Quiconque le délaisse par rébellion, Allah le brisera. Et quiconque cherche une guidance hors de lui sera perdu". [4]
En dehors de cela, il devra connaître parfaitement les sciences liées au coran comme les causes de révélation des versets, les versets abrogeants et abrogés, le coran médinois du coran mecquois, les versets muhkam de ceux mutashabih [5], le général et le spécifique, l’absolu et le limité... Il devra avoir une maîtrise de toutes les sciences afférentes au coran en résumé et ceci, à un degré élevé.
Le mujtahid devra en outre avoir la maîtrise de la deuxième source des règles juridiques, à savoir la sunnah. Cette maîtrise n’implique pas qu’il mémorise tous les hadiths juridiques. Mais il devra savoir discerner entre le sahih, le hasan et le da’if, connaître les chaînes des hadiths, connaître les transmetteurs et leur degré de fiabilité. Il n’est donc pas demandé au mujtahid d’être un hafiz dans le hadith mais d’avoir toutes les connaissances pour savoir quel hadith utiliser et lequel délaisser. Cependant, il lui est permis de se baser sur les savants du hadith ayant classifié les textes selon leur degré d’authenticité comme al Bukhariy ou Muslim ibn Hajjaj. En effet, le mujtahid ne s’occupe pas forcément du hadith car son rôle est de tirer les compréhensions des textes et non de les collecter. Le fait d’être un savant du hadith est une condition de perfection pour le mujtahid, à l’image de l’imam Malik, de ash Shafi’iy ou de Ahmed ibn Hambal qui sont des imam dans cette science.
Il lui sera aussi obligatoire de connaître les avis des compagnons ainsi que des salaf, connaître la prépondérance des avis qu’ils ont émis mais aussi, les sujets sur lesquels il y a consensus entre les savants. Il devra connaître leurs divergences et les raisons de ces divergences.
Pour ces quatre domaines cités, la maîtrise du mujtahid devra être complète et d’un grand degré. Pour les autres sciences, il lui suffira d’un degré moyen. Ces sciences sont par exemple les avis des autres savants et il ne lui sera pas reproché de les méconnaître. De même, il n’est pas une condition de l’ijtihad de maîtriser la science du kalam, celle de la métrique (‘arud) et d’autres sciences à cela pareilles.
Ces conditionnalités sont celles du mujtahid mutlaq et quiconque n’aura pas atteint ce niveau décrit devra forcément se raccrocher à quelqu’un ayant atteint ce niveau. Sache donc que ce niveau d’ijtihad n’existe plus selon le consensus des musulmans! Effectivement, l’ijtihad est une obligation communautaire à chaque époque, bien qu’il soit possible qu’une époque en soit dépourvue. Pourtant, ce qui est visé par cette obligation, c’est l’ijtihad muqayyad et non l’ijtihad absolu.
Dans al bahr al muhit, al Zarkashiy dit:
“Il est possible qu’une époque soit dépourvue de mujtahid selon la majorité et l’auteur d’al Mahsul [6] l’a affirmé. Al Rafi’iy a dit: "les gens sont d’accord qu’il n’y a plus d’ijtihad à nos jours". Peut-être l’a t-il pris de l’imam ar Raziy. Et al Ghazaliy a dit dans al Wasit: "L’époque est dépourvue de mujtahid indépendant"[7].
Il dit a aussi:
"La vérité est que l’époque est dépourvue de mujtahid mutlaq et non pas de mujtahid dans le madhhab d’un des quatre imam. Les musulmans se sont mis d’accord sur le fait que la vérité est contenue dans ces écoles. De sorte, il n’est pas permis d’agir conformément à une autre école. Il n’est pas permis d’exercer l’ijtihad hors de ces écoles" [8].
De sorte, il est obligatoire pour le musulman de suivre une des quatre écoles transmises de Malik, Abu Hanifah,Al Shafi’iy et Ahmed. Les gens ont par consensus exclu les écoles des autres mujtahid qui ne nous ont pas été transmises. De sorte, on ne pourrait suivre que l’école de ces quatre imam sur lesquels les musulmans se sont mis d’accord. Même s’il n’est pas rationnellement impossible qu’un mujtahid mutlaq apparaisse après ceux-là, nul ne pourra recueillir l’assentiment et l’unanimité sur sa science, sa piété et sa proximité avec Allah. Et donc, nul ne pourra jamais avoir des élèves véhiculant son enseignement à l’image de la faveur qu’Allah a fait à ces quatre.
Sache donc que nul parmi les contemporains n’atteint la taille d’un grain de sable près d’une montagne comparé à l’immensité de l’imam Abdu Rahman as Suyutiy. Ce dernier était un hafiz dans le hadith ayant atteint le degré de amir al mu’minin dans cette science. Sa maîtrise de la langue arabe était unique à son époque et il en a attesté par la rédaction de livres sur ses diverses sciences. Il a assimilé à perfection les sciences du coran sur lesquelles il a écrit un livre qui est devenu une référence dans ce domaine. Bref, cet imam a rédigé plus de huit cents ouvrages qui sont devenus tous des références dans les différentes sciences islamiques. Pourtant, les savants de son époque lui ont refusé la prétention à être un mujtahid dans le madhhab de l’imam ash Shafi’iy. C’est à dire qu’ils estimaient qu’il n’avait point atteint le degré pour se comparer à an Nawawiy, ou al Rifa’iy, que dire alors du Qadiy Husayn ou de al Muzaniy? Or, l’imam as Suyutiy n’appelait pas à l’ijtihad mutlaq, mais juste à l’ijtihad dans son école [9]. Que dire alors des ruwaybidah de notre époque dont la majorité n’a même pas fini l’étude du premier livre nécessaire dans la ‘aqidah?
Tu sauras donc qu’il est obligatoire de s’en tenir aux écoles des quatre.
An Nafrawiy a dit: "Le consensus des musulmans s’est établi qu’il est obligatoire de suivre une des quatre écoles des imam Abu Hanifah, Malik, ash Shafi’iy et Ahmed. Et qu’il n’est pas permis de sortir de leurs écoles" [10].
Ibn Muflih al hambaliy a dit: "Il est dit dans al Ifsah: le consensus s’est établi sur le suivi des quatre écoles et que la vérité ne sort pas d’elles" [11].
L’auteur de Maraqiy as su’ud a dit:
Ensuite, rappelle l’obligation de se tenir à une école...par sûreté pour qui n’a pas la capacité
Le consensus à ce jour est sur les quatre... Et tous ont interdit le suivi d’une autre [12]
Il dit aussi: "c’est à dire que le consensus est établi à ce jour sur l’obligation de suivre les quatre écoles à savoir l’école de Malik, de Abu Hanifah, de Shafi’iy et de Ahmed. Et l’ensemble des savants a interdit le suivi d’une autre école hors d’eux depuis le huitième siècle et la disparition de l’école de Dawud (al Zahiriy) jusqu’à ce douzième siècle et ce jusqu’à jamais, que ce soit le suivi permanent ou simplement le suivi dans certaines questions. Et certes, il y a consensus sur cela." [13].
L’ijtihad limité est quant à lui ouvert avec les conditions connues, c’est à dire le taqlid d’un mujtahid mutlaq.
Les musulmans se sont mis d’accord sur l’obligation pour toute personne n’ayant pas atteint l’ijtihad mutlaq de suivre un mujtahid. De sorte, le taqlid, qui est le fait de suivre quelqu’un sans lui demander sa preuve, s’applique aussi bien aux savants qu’aux gens du commun. Pour certains ayant atteint l’ijtihad limité, ce taqlid ne s’applique que pour les fondements alors que pour tout le reste, il s’agit d’un suivi aussi bien des fondements que des branches, à savoir les questions pratiques.
Le Chaykh ‘Abdullah al ‘Alawiy ibn al Hajj Ibrahim a dit:
(le taqlid) est obligatoire pour autre que le mujtahid mutlaq
...même s’il est muqayyad tant qu’il n’est pas capable (d’ijtihad mutlaq)[14]
Ce suivi d’un mujtahid peut se faire dans tous les domaines, en tous temps, ou sur certaines questions seulement en un temps limité. En d’autres termes, il est possible de suivre plusieurs écoles sur des questions différentes et sur des moments différents. Cependant, ce changement d’une école à une autre répond à des conditions. Ibn Juzayy a dit:
"On peut suivre une école sur des questions ponctuelles et changer d’école selon trois conditions :
Cependant, certains comme al Ghazaliy et al Maziriy al Malikiy, ont interdit de changer d’école, partant du postulat que chaque école base son ijtihad sur des preuves solides. Changer d’école revient simplement à suivre la passion et les derogations et non accorder sa confiance à un mujtahid en qui on a toute confiance.
Il est aussi interdit au musulman de suivre une personne n’ayant pas atteint l’ijtihad. Le chaykh ‘Abdullah al ‘Alawiy dit encore :
Celui qui n’est pas connu par la science et la probité...
Ou sur qui on n’a pas certitude, lui demander une fatwa est interdit [16]
De sorte, celui qui demande une fatwa à quelqu’un qui n’y est pas habilité, il lui sera interdit d’agir selon son avis. Cela ne sera permis que si le muftiy en question donne l’avis de son école. Si par contre il n’existe pas de réponse explicite dans son école sur l’objet de la fatwa, les savants ont diverge sur la position à adopter. La majorité des malikis permet de faire l’analogie avec un cas similaire si le muftiy en question maîtrise les fondements de l’école. Ceci est la position d’al Maziriy. L’autre position stipule qu’il ne sera en aucun cas autorisé pour le muftiy muqalid d’exprimer un quelconque avis. D’autres encore ont dit qu’il lui sera permis de suivre l’école de ash Shafi’iy ou de Abu Hanifah si elles ont abordé la question.
Quant à celui qui donne la fatwa, sa qualité de mujtahid n’est pas requise. S’il n’a pas atteint l’ijtihad mutlaq, il lui sera obligatoire de donner la fatwa selon la position connue de l’école, à savoir le mashhur ou le mufta bihi.
Ibn ‘Arafah a dit: "agir selon l’avis préférable (rajih) est obligatoire et non optionnel. Ce avec quoi on doit donner la fatwa est soit le mashhur, soit le rajih. Il n’est pas permis de donner une fatwa ou un jugement hors du mashhur ou du rajih" [17].
Il a été rapporté de l’imam al Maziriy qu’il ne donnait pas fatwa hors du mashhur, bien qu’il ait atteint le niveau de l’ijtihad dans le madhhab.
Le mujtahid dans l’école pourra t-il pour autant exprimer son avis, hors de ce qui est mashhur? Les gens ont divergé dessus et le plus probant est qu’il pourra agir ainsi en se basant sur les fondements de l’école.
Quant au mujtahid de tarjih, il ne pourra déroger au mashhur si celui-ci est établi. Si par contre il y a des avis d’égale force probante, il pourra donner préfèrence, faire le tarjih, d’un avis sur l’autre.
[1] Rapporté par Ahmed et Ibn Majah
عَنْ أَبِي هُرَيْرَةَ ، عَنِ النَّبِيِّ صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَآلِهِ وَسَلَّمَ ، قَالَ : " سَيَأْتِي عَلَى النَّاسِ سَنَوَاتٌ خَدَّاعَاتٌ يُصَدَّقُ فِيهَا الْكَاذِبُ , وَيُكَذَّبُ فِيهَا الصَّادِقُ , وَيُؤْتَمَنُ فِيهَا الْخَائِنُ ، وَيُخَوَّنُ فِيهَا الْأَمِينُ ، وَيَنْطِقُ فِيهَا الرُّوَيْبِضَةُ ، قِيلَ : يَا رَسُولَ اللَّهِ ، وَمَا الرُّوَيْبِضَةُ ؟ قَالَ : الرَّجُلُ التَّافِهُ يَنْطِقُ فِي أَمْرِ الْعَامَّةِ
[2] La ‘adalah est la respectabilité islamique en général. Ses critères diffèrent selon les sciences, du fiqh au hadith. Ce qui est visé ici est la ‘adalah du témoignage qui se définit comme le fait de ne pas commettre les grands péchés, d’éviter les petits péchés et d’avoir un comporteent sociétal respectable.
[3] Ces versets sont ceux contenant des règles juridiques et sont appelés “ayat al ahkam”. On pourra utiliment se référer aux “ahkam al qur’an” d’ibn ‘Arabiy et de al Jassas pour leur classification et leur explication. On en compte à peu près cinq cents.
[4] Taqrib al wusul ila ‘ilm al usul
[5] Nous résumerons sommairement en disant que le muhkam est le verset dont le sens est clair et le mutashabih celui qui ne l’est pas. Cette question mérite bien sûr un développement qui n’a pas lieu d’être ici.
[6] Il s’agit de l’imam Fakhr din ar Raziy, auteur d’al Mahsul fi usul al fiqh
[7] Al Bahr al muhit fi usul al fiqh
[8] Idem
[9] L’imam as Suyutiy est revenu sur cette position, en disant: “ j’ai fait mon ijtihad et je me suis rendu compte que j’arrivais aux mêmes conclusions que celles de ash Shafi’iy sauf dans dix-sept questions. Je me suis rendu compte après que ces positions (de ash Shafi’iy avec lesquelles je divergeais) étaient faibles dans l’école.” [kitab tahaduth bi ni’mati Allah]. Cela revient à dire que toutes les fois que as Suyutiy avait exercé l’ijtihad, il était tombé sur la position officielle de son école.
[10 ]Fawakih al dawaniy
[11] Al Furu’
[12] Maraqiy as su’ud
[13] Nashr al bunud
[14] Maraqiy as su’ud
[15] Taqrib al wusul ila ‘ilm al usul
[16] Maraqiy as su’ud
[17] Mawwahibb al jalil