Transactions
12 juin 2022

Acheter une maison par la finance islamique

Pouvez-vous nous éclairer sur la finance islamique et la possibilité d’acheter une maison par le financement d’une banque islamique ?


La finance islamique permet d’acheter un bien immobilier par un montage juridique qui est dénommé murabaha par les professionnels de ce secteur. Cette murabaha consiste à ce que l’acheteur indique à la structure de finance le bien qu’il souhaite acheter. La structure achète ce bien comptant et le revend à l’acheteur selon une marge convenue. L’acheteur rembourse finalement cette somme à des mensualités fixées.

On trouve en effet cette méthode décrite par les structures de finance islamique en langue française :

« Le financement immobilier murabaha développé par 570easi est un mode de financement conforme à l’éthique musulmane et à la réglementation française. Les étapes sont simples et connues à l’avance :

  1. La banque achète le bien : L'une de nos banques partenaires achète le bien en utilisant de l'argent issu de fonds propres et des comptes de dépôts non rémunérés.
  2. La banque vous revend le bien : elle vous revend le bien moyennant une marge. La marge est connue à l’avance et se justifie par la transaction commerciale (achet puis revente)
  3. Vous être propriétaires : vous devenez propriétaire immédiatement lors de la revente en versant une partie du prix au comptant (apport personnel de 15%) et le reste par mensualité sur la durée convenue. » [1]

De même :

« Cette technique consiste en l’achat par la banque d’un actif qu’elle revend à terme à ses clients avec une marge préétablie. Le remboursement peut s’effectuer en une fois ou selon un échéancier fixé lors de la conclusion du contrat. Il est essentiel que la banque soit propriétaire de l’actif avant de le revendre. La marge doit être acceptée par les 2 parties signataires du contrat. Il est à noter que pour ce type de financement deux contrats distincts sont signés. (Achat/Vente). » [2]

Si les savants sont unanimes sur la licéité de la murabaha, c’est-à-dire la vente à profit, la définition de cette forme de vente classique ne correspond nullement à ce que les structures de finance islamique dénomment murabaha. Elle est uniquement une vente par laquelle on retire un bénéfice et s’oppose à la vente sans profit qu’on nomme musawamah.

La murabaha contemporaine ne recoupe pas la vente à profit dont la licéité ne fait pas de doute. Plutôt, au regard de son montage, cette murabaha doit avoir la qualification d’une vente de ‘inah, à savoir une vente à rachat.

Dans al-Sharh al-Saghir, l’imam Dardir a dit :

« [la vente-rachat (‘inah) qui est la vente de celui à qui on demande une marchandise] pour l’acheter [qu’il ne détient pas] à savoir le vendeur [au demandeur] qui est l’acheteur lié à la vente [après son achat] auprès d’une autre personne pour lui-même [est licite] dans le sens où c’est contraire à ce qui est préférable. Les vendeurs à rachat sont des gens qui se chargent de chercher des marchandises qu’ils ne détiennent pas à la demande. Ils cherchent des commerçants pour acheter le bien à une somme et la revendre au demandeur, que cette seconde vente soit au comptant ou à terme. […] Toutefois, est exceptée de cette licéité sa parole [sauf s’il dit] à savoir le demandeur [achète la pour dix comptant et] moi [je la prendrai] de toi [à douze]. » [3]

Il est donc clair que ce que les banques islamiques nomment murabaha n’est rien d’autre, selon la terminologie des savants, que la vente-rachat, à savoir la vente par ‘inah.

Ce type de transaction, selon notre école malikite, peut prendre plusieurs qualifications.

Dans al-Muqadimat al-Mumahidat, l’imam Ibn Rushd a dit : « La vente à rachat peut prendre trois qualifications : permise, détestable et interdite. » [4]

En effet, dans al-Mudawwanah, Ibn al-Qasim a été interrogé :

« Que dis-tu si j’achetais un bien quelconque et que j’y associais une autre personne pour qu’elle me le rachète, avant ou après que le bien m’ait été livré ? Il dit : « cela n’est pas licite selon l’avis de Malik dans les deux cas. En effet, c’est associer une vente et un prêt et cela n’est pas licite.

Je dis (à savoir Sahnun) : Il en est de même pour toutes les marchandises et les aliments, qui sont similaires selon l’avis de Malik ? Il n’est pas licite d’y associer une autre personne pour le rachat ?

Il dit (à savoir Ibn al Qasim) : Certes oui. Cette parole ne s’applique pas à un cas, qui est que le rachat n’est pas conditionné. C’est quand l’homme dit : « J’achète un bien et tu me l’achètes. » Dans ce cas, il n’y a pas de mal. » [5]

Cette parole de l’imam Malik indique que la vente à rachat peut prendre plusieurs qualifications, allant de la licéité à l’interdiction.

Parmi ces cas de figure, trois sont des transactions interdites.

Le premier cas de figure est qu’un acheteur se rapproche d’un tiers et lui demande d’acheter pour lui un bien comptant qu’il lui rachèterait à terme avec un surplus. Pour un exemple concret, l’acheteur demande à une personne d’acheter une marchandise à dix dinars comptant qu’il lui rachèterait à douze dinars dans trois mois. Une telle transaction est interdite.

Un autre cas de figure est que l’acheteur se rapproche du tiers pour qu’il achète un bien comptant et qu’il lui rachèterait comptant aussi, mais avec un surplus.

Le troisième cas de figure est que l’acheteur demande au tiers d’acheter un bien à terme qu’il lui rachèterait au comptant.

La vente murabaha de la finance islamique correspond au premier cas cité et ce cas de figure entre dans la qualification des transactions interdites.

L’interdiction de ce type de contrat réside dans le fait que l’acheteur pose comme condition préalable d’acheter le bien acquis par le tiers. Tant que cette condition persiste, cette transaction est interdite car elle revient à vendre ce qui n’est pas en sa possession.

En effet, dans ce qu’ont rapporté les quatre, ainsi que l’imam Ahmed, Hakim Ibn al-Hizam a dit : « Je suis allé voir le Prophète et je lui ai dit : « Un homme vient m’acheter un bien que je n’ai pas en ma possession. Puis-je aller acheter ce bien au marché et le lui revendre ? » Le prophète dit : « Ne vends pas ce que tu n’as pas en ta possession. » » [6]

Dans al-Muwatta, Yahya a dit : « Malik m’a dit qu’il lui était parvenu qu’un homme avait dit à un autre : « achète pour moi ce chameau comptant pour que je puisse le racheter de toi à terme. » ‘Abdullah Ibn ‘Umar fut interrogé à propos de cela. Il détesta ce procédé et l’interdit. » [7]

Dans son commentaire d’al-Muwatta, al-Zurqaniy a dit : « Il a inclus cette parole dans ce chapitre car la vente au comptant se fait en s’étant obligé au préalable à une vente à terme, ce qui est un surplus sur le prix. Il s’est donc engagé à deux ventes, une vente au comptant et une vente à terme. En plus de cela, cette transaction comporte la vente d’un bien sans le posséder car il vend le chameau avant de l’acheter. De même, il avance un surplus, comme s’il avançait le prix comptant pour le prix à terme. Tous ces éléments indiquant l’interdiction d’une telle transaction, qui est une vente à rachat, comme le dit al-Bajiy. » [8]

En effet, le Prophète ﷺ a indiqué l’interdiction spécifique de la vente-rachat (‘ina).

Dans les Sunan de Abu Dawud, il a dit selon Ibn ‘Umar : « Quand vous vendrez à rachat, que vous saisirez les queues des vaches, que vous vous satisferez des cultures et délaisserez le combat, Allah vous frappera d’un état d’humiliation qu’il n’enlèvera que quand vous reviendrez à la religion. » [9]

L’association des éléments réprouvables implique forcément l’interdiction de principe de la vente à rachat.

Dans al-Muqadimat al-Mumahidat, le Qadiy Ibn Rushd a dit :

« La vente-rachat a trois qualifications : permise, détestable, interdite.

La vente permise est qu’un homme voit un autre qui pratique la vente à rachat et lui dise : as-tu une telle marchandise pour que je te l’achète ? L’homme lui répond non, et sans accord préalable de leur part, achète ladite marchandise. Il rencontre ensuite l’homme et l’informe qu’il détient à présent la marchandise qu’il recherchait. Il la lui vend, que ce soit comptant ou à terme.

La vente détestable est que l’homme dise : « achète telle marchandise et je te ferai un bénéfice dessus en la rachetant. » Toutefois, ils ne s’entendent pas sur le montant du bénéfice tiré de la seconde vente.

La vente interdite est qu’il s’entende avec lui sur un surplus en disant : « Achète telle marchandise et je la rachèterai avec tel bénéfice. »  Cette qualification interdite regroupe six cas de figure aux règles diverses, dont trois concernent la demande « achète pour moi ».

Le premier est qu’il dise « Achète pour moi telle marchandise à dix comptant et je la rachète à douze comptant. »

Le second cas est qu’il dise : « achète pour moi à dix comptant et je te rachète à douze à terme. »

La troisième est le contraire, à savoir : « achète pour moi à douze à terme et je te rachète à dix comptant. »

Les trois autres cas concernent la demande « achète pour toi » ou « achète » sans préciser si l’achat est pour le demandeur ou le vendeur. Parmi ces cas, on trouve la demande « achète telle marchandise à dix comptant et je la rachète à douze comptant. »

Le quatrième cas est qu’il dise : « Achète pour toi à dix comptant et je te rachète à douze comptant. »

La cinquième est qu’il dise : « Achète pour toi à dix comptant et je te rachète à douze à terme. »

La sixième est le contraire de ces cas, à savoir : « Achète pour toi ou achète (sans rien rajouter) à douze à terme et je te rachète à dix comptant. » » [10]

Cette citation de l’imam Ibn Rushd évoque tous les cas de figures d’une vente-rachat. La dernière catégorie qu’il a classée comme interdite demande toutefois un détail. En effet, toutes ces situations ne sont pas interdites, en conformité avec la parole de l’imam Malik évoquée plus haut.

Dans le détail :

  • Le premier cas de figure est interdit, sauf si le surplus n’est pas entendu comme une condition.
  • Le second cas de figure est interdit dans l’absolu, et c’est le cas correspondant à la méthode de la finance dite islamique.
  • Le troisième cas de figure est interdit.
  • Le quatrième est sujet à divergence dans la parole de Malik, qui l’a autorisé et détesté dans d’autres endroits.
  • Le cinquième cas de figure est interdit.
  • Ce cas de figure est interdit aussi.

En résumé, quelque fois qu’il y a une condition de rachat dans un contrat et qu’un surplus est fixé, cette vente est interdite. Son interdiction est basée sur la confusion de deux ventes en une seule, ce que le prophète a clairement interdit. Elle est basée aussi sur la ressemblance, dans la plupart des cas de figure, à la vente usuraire.

As-Sawiy a dit : « Sa parole [sans spécifier le montant du bénéfice] indique que si le montant du surplus est spécifié, cette vente est interdite. S’il indique qu’il y a un surplus sans spécifier le montant, la vente est détestable. Et s’il fait allusion à ce bénéfice sans le dire clairement, comme l’expression « il y aura un bien », cela est licite. » [11]

Les produits proposés par les banques dites islamiques, s’ils recoupent la vente-rachat telle que présentée plus haut, sont des transactions interdites qu’il n’est pas permis de conclure.

Et Allah demeure le plus Savant en toutes circonstances.

وصلّى الله وسلّم على سيّدنا محمد وعلى آله


[1] https://570easi.com/fr/immobilier/.
[2] https://www.doctrine-malikite.fr/La-Murabaha_r99.html.
[3] Sharh al-Saghir ‘ala Aqrab al-Masalik, volume 3, page 129, éditions Dar al-Ma’arif.
[4] Al-Muqadimat al-Mumahidat, volume 2, page 117, éditions al-Quds.
[5] Al-Mudawwanah al-Kubra, volume 3, page 124, éditions al-Quds.
[6] Jami al-Tirmidhiy,livre des transactions.
عَنْ حَكِيمِ بْنِ حِزَامٍ، قَالَ أَتَيْتُ رَسُولَ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم فَقُلْتُ يَأْتِينِي الرَّجُلُ يَسْأَلُنِي مِنَ الْبَيْعِ مَا لَيْسَ عِنْدِي أَبْتَاعُ لَهُ مِنَ السُّوقِ ثُمَّ أَبِيعُهُ قَالَ ‏ "‏ لاَ تَبِعْ مَا لَيْسَ عِنْدَكَ ‏
[7] Al-Muwatta’, livre des transactions, chapitre sur l’interdiction de deux ventes en une seule.
[8] Sharh a- Zurqaniy ‘ala al-Muwatta, volume 3, page 367, éditions DKI.
[9] Rapporté par Abu Dawud.
عَنْ ابْنِ عُمَرَ رَضِيَ اللَّهُ عَنْهُما قَالَ : سَمِعْتُ رَسُولَ اللَّهِ صَلَّى اللَّهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ يَقُولُ : (إِذَا تَبَايَعْتُمْ بِالْعِينَةِ ، وَأَخَذْتُمْ أَذْنَابَ الْبَقَرِ ، وَرَضِيتُمْ بِالزَّرْعِ ، وَتَرَكْتُمْ الْجِهَادَ ، سَلَّطَ اللَّهُ عَلَيْكُمْ ذُلًّا لَا يَنْزِعُهُ حَتَّى تَرْجِعُوا إِلَى دِينِكُمْ
[10] Al-Muqadimat al-Mumahidat, volume 2, page 117, éditions al-Quds.
[11] Hashiyah al-Sawiy ‘ala al-Sharh al-Saghir, volume 3, page 131, editions Dar al-Ma’arif.

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